Skip to content

La beauté thermodynamique. (Bons) aéroports du XXIe siècle

Picture of Alejandro Martin

Alejandro Martin

AERTEC / Airport Planning & Design, Architecture

Le XXᵉ siècle a connu un changement de paradigme dans l’architecture (la bonne) qui peut être défini comme le passage de la tectonique à la mécanique / de la mécanique à l’électronique / et de l’électronique à la thermodynamique.

Qu’est-ce que la beauté thermodynamique ? C’est celle qui tente de faire le maximum avec le minimum avec les solutions techniques adaptées à un lieu donné. Elle est le résultat de l’exercice du véritable concept de durabilité.

Pour certains aéroports, la durabilité est quasiment une question de survie (comme c’était le cas il y a quelques décennies), et non pas un concept marketing illusoire.

La beauté de la durabilité devrait prévaloir, quel que soit le programme fonctionnel à résoudre. Qu’il s’agisse d’un aéroport ou d’un logement. Cependant, de manière générale, la conception des terminaux aéroportuaires actuels présente une série de caractéristiques qui n’aident en rien à atteindre cette beauté.

Les terminaux contemporains sont souvent dotés de halls hauts de plafond, à l’image des premiers hangars qui abritaient les biplans à l’aube de l’ère de l’aviation et qui sont devenus par la suite les immenses salles d’enregistrement que nous connaissons aujourd’hui. Bien entendu, ces halls nécessitent des solutions structurelles peu conventionnelles, généralement composées d’éléments dont la fabrication, le transport et l’installation requièrent beaucoup d’énergie.

Dique de embarque deDe même, ces grands halls, ainsi que les jetées d’embarquement et de nombreuses autres zones des terminaux, présentent souvent des hauteurs démesurées. La raison régulièrement avancée est l’ampleur de l’espace et le grand nombre de personnes qui y transitent en même temps. Cependant, ces immenses volumes exigent une quantité injustifiable d’énergie pour les aménager, les éclairer et/ou les entretenir.

Ces espaces peuvent être tout aussi agréables avec beaucoup moins de hauteur, comme c’est le cas, par exemple, de l’aéroport de la région de Murcie, dont la jetée d’embarquement ne mesure que 360 cm de haut.

L’un des grands attraits d’un terminal passagers est la vue directe sur le terrain d’aviation. Il est évident que le décor de l’aire de trafic et de la piste exerce un effet quasiment hypnotique. Mais une telle circonstance ne justifie pas la conception d’immenses et complexes murs-rideaux, sans tenir compte, par exemple, du fait que l’orientation de la vue vers l’ouest de notre latitude est dévastatrice. Il existe des moyens d’ouvrir ces façades tout en les protégeant efficacement du rayonnement solaire, comme en témoigne l’aéroport international de Dzaoudzi Pamandzi, dans le département français de Mayotte, dont la façade donnant sur le terrain d’aviation est, à proprement parler, un store vénitien entièrement couvert.

Aeropuerto internacional Dzaoudzi Pamandzi. REC Architecture, 2014La conception d’un aéroport dans un climat chaud et relativement humide, comme c’est le cas à Malaga, n’a rien à voir avec celle d’un aéroport dans d’autres régions plus septentrionales. Les outils à utiliser dans un aéroport méditerranéen sont probablement plus liés à des concepts tels que l’umbraculum, l’ombre, les patios (qui peuvent par ailleurs être utilisés pour de futures extensions), la ventilation naturelle ou la mise en place de murs épais ayant la capacité de « retenir » la chaleur (inertie thermique). En d’autres termes, il s’agit de privilégier une architecture compacte avec des murs habitables et des solutions qui recherchent la fraîcheur et projettent de l’ombre sur le bâtiment lui-même et sur son environnement.

Aéroport de Baltra. Îles Galápagos, Équateur .

Ces stratégies revêtent une importance toute particulière dans les aéroports insulaires. Dans un billet précédent, nous avons expliqué comment l’équipe d’AERTEC, en collaboration avec le studio d’architecture Espacio Colectivo de Cali, a résolu le problème du terminal de passagers de l’île de la Providence, dans les Caraïbes colombiennes, en mettant précisément ces principes en pratique. L’une des références que nous avions étudiées à l’époque est probablement l’un des meilleurs exemples de solution intégrale qui tient compte non seulement de la conception thermodynamique, mais aussi d’aspects tels que le transport, l’exécution et la maintenance ultérieure : l’aéroport des îles Galápagos, situé à 2 400 km du littoral de l’Équateur, pays auquel il appartient.

Ce magnifique projet tire parfaitement parti des conditions climatiques extrêmes de son lieu d’implantation, en partant du principe que son éloignement ne permet pas de l’exploiter et, surtout, de l’entretenir comme n’importe quel aéroport conventionnel.

Dans ce cas, la durabilité est quasiment (comme elle l’était il y a quelques décennies) une question de survie, et non pas un concept marketing illusoire. Et force est de constater que les solutions appliquées sont d’une simplicité déconcertante. Cet exemple de résolution de situations complexes ne dépend que de l’attention portée aux conditions du site, de la fiabilité des données climatiques et de leur gestion précise et appropriée afin d’optimiser l’utilisation de l’énergie, de l’éclairage et de la consommation d’eau.

Les principales stratégies mises en œuvre aux Galápagos sont les suivantes :

  • l’utilisation de matériaux recyclés provenant de la démolition de l’ancien terminal et d’autres types d’utilisations ;
  • la réduction de la consommation d’énergie et d’eau, grâce à la production d’énergie propre et au traitement et à la réutilisation des eaux grises ;
  • l’utilisation de l’éclairage et de la ventilation naturels.

La mise en œuvre de ces grands axes commence dès la première prise de décisions du projet et va jusqu’à l’exploitation et la maintenance de l’infrastructure. Voyons comment.

La première décision qui a un impact essentiel sur le comportement du terminal est son emplacement. Dans le cas présent, le bâtiment est construit stratégiquement par rapport à son environnement, en modifiant légèrement son orientation afin de le placer dans le sens des vents dominants pour profiter au maximum de la brise locale. Cette prise en compte des conditions météorologiques est inhabituelle dans la planification d’un aéroport. Dans le plan directeur, document qui jette les bases du choix de l’emplacement du terminal passagers par rapport à l’aire de trafic et au complexe aéroportuaire, cet aspect est rarement pris en compte. En effet, dans un aéroport, le vent n’est qu’une donnée aéronautique. Il détermine l’orientation de la piste pour des raisons opérationnelles évidentes.

La forme même du bâtiment favorise la fraîcheur générée par le mouvement de l’air à travers des patios couverts et ouverts, ainsi que de grands puits de lumière qui favorisent non seulement la circulation de l’air, mais aussi l’entrée de la lumière.

Les matériaux et les systèmes de construction choisis pour la construction du terminal sont tout aussi essentiels. Tous les matériaux utilisés sur le site sont recyclés ou ont un faible impact sur l’environnement. Des granulats provenant de carrières locales ont été utilisés pour les agglomérés, des pierres d’origine volcanique venant de l’île ont servi à la réalisation du bardage, et même l’acier et le bois de la structure ont été récupérés de l’ancien terminal, mais aussi de champs pétrolifères démantelés en Équateur.

En outre, le revêtement et les parements verticaux sont réalisés dans des couleurs claires qui réfléchissent le rayonnement solaire et contribuent à maintenir la température intérieure.

Par ailleurs, la piste d’atterrissage elle-même est en béton et non en asphalte, ce qui permet de réduire la température ambiante de 2 à 5 degrés Celsius (concept d’îlot de chaleur).

Pour la mise en œuvre proprement dite, la préfabrication a été choisie comme stratégie afin d’éviter toute pollution supplémentaire à Baltra. À cette fin, les éléments des différents systèmes ont d’abord été assemblés sur le continent, puis sur l’île.

La pénurie d’eau douce est un autre problème à résoudre dans un endroit aussi isolé. La forme du bâtiment tente également de répondre à ce besoin. Ainsi, le toit du bâtiment est conçu de manière à favoriser la collecte de l’eau de pluie. L’aéroport dispose aussi de sa propre usine de dessalement, ainsi que d’une station d’épuration des eaux usées qui permet de recycler une bonne partie de l’eau utilisée dans les opérations quotidiennes. 

La production d’énergie est un autre défi majeur. Dans ce cas, toute l’électricité de l’aéroport provient d’énergies renouvelables, solaire ou éolienne. Pour ce faire, une installation photovoltaïque, dont les panneaux solaires couvrent une grande partie des voies du complexe, a été mise en place. Un tiers de l’électricité nécessaire est issue de cette installation, le reste provenant des éoliennes situées stratégiquement dans l’aérodrome.

Il convient de noter que cette philosophie d’intervention s’étend de la conception du bâtiment à d’autres domaines. Par exemple, en termes d’équipement, les zones de récupération des bagages sont dotées d’un système gravitationnel basé sur des plans inclinés où les valises sont maintenues sur des tiges et des cylindres rotatifs, sans avoir besoin d’une alimentation électrique. Ou encore dans les urinoirs, qui n’utilisent pas d’eau, ce qui en réduit la consommation.

Moins d’énergie, moins de consommation, moins de dépendance à l’égard des systèmes mécaniques, moins de problèmes de maintenance.

L’image de l’aéroport de Baltra ressemble peu à celle d’un aéroport contemporain conventionnel. Et le problème est peut-être là : lorsque nous imaginons une maison en Norvège, il ne nous vient pas à l’idée de voir une construction ouverte entourée d’éléments de protection solaire. En revanche, si nous pensons à un terminal d’aéroport, nous imaginons toujours un même style de bâtiment, quel que soit son emplacement.

 

Aeropuerto de Galápagos

Partager cet article