Vous souvenez-vous du Concorde ? Les plus jeunes ont peut-être un vague souvenir de l’avion qui a fasciné les enfants (mais pas seulement) à la fin du XXe siècle. Personnellement, je me souviens de l’impatience que j’ai ressentie au mois de février 1999, quand j’ai eu l’occasion de le voir lors d’essais à SVQ (aéroport de Séville).
Si son nom ne vous dit rien, le Concorde était un avion de ligne supersonique.
Le Concorde a été un avion innovant à de nombreux égards. Il a offert de grands moments à l’aéronautique, mais nombre des arguments qui ont encouragé son développement n’ont plus cours dans le domaine de l’aviation.
Vous vous demandez peut-être ce qu’est une vitesse supersonique. Vous en avez certainement déjà entendu parler, mais vous ne savez peut-être pas de quoi il s’agit exactement. Il s’agit d’une vitesse supérieure à celle du son, soit plus de 1 235,52 km/h. Cela correspond à trois allers-retours Séville-Malaga en une heure, ou un Paris-Londres en une vingtaine de minutes. Une véritable aberration !
Pour découvrir l’histoire de ce type de transport, il faut revenir en 1947, lorsque le premier vol habité dépassant la vitesse du son a eu lieu à bord du modèle Bell X-1. Depuis lors, l’homme a conçu différents avions qui ont franchi ce jalon, comme le Lockheed SR-71, plus connu sous le nom de « Blackbird », le joyau de la couronne. Il a presque atteint la vitesse de Mach 3, soit trois fois la vitesse du son. Il semble même qu’il ait été en mesure de la dépasser largement, mais les informations concernant ce projet militaire sont toujours classifiées.
À la fin des années 50, le développement d’un avion supersonique de transport se convertit en compétition mondiale, jusqu’à devenir un enjeu de prestige national. Ce n’est pas un hasard si, à l’époque, les subventions publiques accordées aux projets furent considérables. Les États-Unis accordèrent leur soutien aux développements des entreprises Lockheed Martin (avec son modèle L2000) et Boeing (modèle 2707). En Europe, la France misa sur le modèle Caravelle de la société nationale Sud-Aviation, alors que le Royaume-Uni optait pour le modèle 233 de la Bristol Aeroplane Company. Enfin, l’Union soviétique paria sur le Tupolev Tu-144.
La France et du Royaume-Uni conclurent un accord stratégique afin de conjuguer leurs efforts pour développer le « Concorde ». Dans ce contexte, les deux pays procédèrent à une série de fusions sous la pression de l’État. Dans le cas du Royaume-Uni, cela déboucha sur la British Aircraft Corporation (fusion entre English Electric, Vickers-Armstrong, Bristol Aeroplane Company et Hunting Aircraft) et en France, sur Aérospatiale (fusion de Sud-Aviation et de la Société d’études et de réalisation d’engins balistiques, SEREB).
Alors que les États-Unis abandonnaient la bataille et quittaient le projet, l’Union soviétique poursuivit ses efforts et construisit même le Tu-144, dont le premier vol eut lieu le 31 décembre 1968, deux mois avant le Concorde. Toutefois, le succès commercial ne fut pas au rendez-vous et ses vols furent très irréguliers en raison de son autonomie réduite et des coûts d’entretien élevés.
Pour rester dans le domaine des vols de passagers, le regretté Concorde a été le seul avion commercial capable de dépasser la vitesse du son à avoir véritablement rempli sa mission. Il a cessé d’opérer en 2003 après un tragique accident survenu trois ans auparavant au décollage. Néanmoins, cet événement n’a pas été le seul à provoquer la fin de l’exploitation de cet avion, qui est également due à d’autres facteurs, dont le bruit assourdissant de ses moteurs, la pollution qu’il engendrait et son coût d’entretien élevé. Il fut ainsi notamment interdit aux États-Unis, qui ont fait valoir que le bruit qu’il produisait au décollage était insupportable. Les mauvaises langues affirment que ce travail de sape du géant américain avait pour unique objectif de dynamiter le projet, car le pays ne possédait pas d’avion présentant des caractéristiques similaires.
D’un point de vue commercial, l’un des inconvénients les plus évidents de cet avion était que seul un petit nombre de privilégiés pouvaient se permettre d’acheter un billet aller-retour d’une valeur de dix mille dollars de l’époque. Autrement dit, une bagatelle. Cependant, le principal argument en faveur du Concorde était l’incroyable rapidité avec laquelle il rejoignait sa destination. Comparées aux huit heures nécessaires pour aller de Londres à New York, les trois heures de voyage en Concorde semblaient s’écouler en un clin d’œil. Un luxe que seuls les plus fortunés de l’époque pouvaient se permettre.
Y aurait-il du sens à proposer à nouveau un avion supersonique destiné au transport de passagers dans un aéroport ?
La réponse est claire : non, en aucun cas. En s’intéressant à l’évolution du transport aérien et aux attentes de l’industrie aéronautique, on comprend que les principales contraintes auxquelles le secteur fait face sont des normes environnementales de plus en plus strictes. Il est donc évident que l’utilisation de ce type d’avion restera l’exception.
D’autre part, la politique économique mondiale plus conservatrice d’aujourd’hui va à l’encontre du gaspillage généralisé de l’époque du premier boom des avions supersoniques. À cette période, seules comptaient les avancées technologiques, quel que soit leur prix. L’optimisation du transport aérien, qui vise à obtenir une rentabilité maximale avec un impact environnemental et économique aussi faible que possible, rend inconcevable l’utilisation d’avions supersoniques.
Malgré tout, à l’échelle planétaire, quelques entreprises continuent de proposer et de développer ce type d’aéronefs. Malheureusement pour elles, leur aventure rejoint pour le moment la longue liste d’avions qui n’ont pas passé le seuil du prototype depuis les années soixante.
C’est le cas du modèle qui donne son titre à cet article, l’AS2. Après la fin amère du Concorde, cette gamme d’avions s’est concentrée sur une niche de marché encore plus étroite. Les entreprises misent ainsi sur le développement de jets privés plutôt que d’avions de passagers destinés à effectuer des vols commerciaux.
Aerion, l’entreprise qui développait l’AS2, a annoncé en 2021 l’annulation du projet en raison d’un manque de ressources économiques. Il semble que même sa collaboration directe avec la NASA, très intéressée par la relance de vols supersoniques, n’ait pas permis de sauver l’ambitieux projet.
Les priorités actuelles du secteur aéronautique visent à améliorer l’efficacité des avions, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et, en somme, à développer une aviation plus durable. La vitesse n’est pas un but en soi, surtout lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’objectifs commerciaux adaptés.
En effet, les beaux jours de l’aviation supersonique pour passagers semblent être définitivement derrière nous.