Javier Gándara est directeur général d’easyJet Espagne et Portugal et president de l’Association des compagnies aériennes (ALA) en Espagne.
“La libéralisation du transport aérien en Europe a permis à des millions de passagers de bénéficier de bonnes liaisons aériennes à des prix abordables, jusqu’alors impensables.”
La date du 2 septembre 1919, qui a marqué les débuts du transport aérien en Espagne, a ouvert la route aéropostale entre Toulouse et Casablanca avec des escales à Barcelone, Alicante et Malaga. De nos jours, les aéroports espagnols accueillent plus de 263 millions de passagers. Quels sont les faits, positifs ou moins positifs, qui ont marqué ce siècle d’histoire ?
Dès le début, ces 100 années ont marqué l’évolution de l’aviation commerciale, alors que voler était un luxe à la portée de quelques privilégiés seulement. Afin de démocratiser ce mode de transport, désormais accessible à une immense majorité de citoyens, la libéralisation s’est accompagnée d’une libre concurrence entre les exploitants. Le changement le plus notable en Espagne, comme dans le reste de l’Europe d’ailleurs, a été la transition d’un point de vue de la « production », où les gestionnaires des compagnies aériennes se focalisaient sur l’avion et la technologie, vers une vision « tournée sur le client », où l’on cherche à satisfaire au mieux les besoins des consommateurs. L’efficacité opérationnelle, qui est encore une condition nécessaire pour réussir, n’est pas suffisante si elle ne s’accompagne pas d’une efficacité commerciale au moins similaire.
Un des défis actuels du secteur est de résoudre le problème de la congestion du trafic aérien, qui constitue la principale cause de retards et de l’augmentation de la durée des vols, alors que le nombre de passagers ne cesse de croître. Existe-t-il une solution ?
Oui, je le pense ; mais tout dépend de la volonté politique et de la mise en œuvre du Ciel unique européen, dont on parle depuis près de vingt ans et, bien que beaucoup de progrès aient été réalisés dans le domaine technologique, il existe encore de grandes restrictions dans les domaines social et politique. Fort heureusement, la nouvelle Commission européenne dispose désormais d’une feuille de route, exposée dans un rapport récemment publié par le Comité des sages mis en place à l’époque ; les dix recommandations qu’elle préconise, si elles étaient suivies, résoudraient une fois pour toutes la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il faudrait pour cela que la Commission et les États membres aient assez de courage politique pour mener à bien ces recommandations, le plus rapidement possible.
En ce qui concerne les compagnies aériennes, de nombreuses voix se sont élevées et ont mis en garde contre les symptômes montrant la faiblesse du modèle low cost. Depuis vingt ans, easyJet a été une entreprise pionnière dans l’évolution vers un modèle de vol « hybride » à destination des principaux aéroports de plusieurs villes européennes. Est-ce la nouvelle tendance ?
La tendance actuelle, tout au moins pour les vols court et moyen-courrier, passe par un modèle hybride, vers lequel convergent à la fois les compagnies aériennes peu coûteuses et celles du réseau : les premières ont rendu complexe leur modèle d’affaires, basé pourtant à l’origine sur la simplicité, pour s’adapter à l’évolution des besoins des clients ; et les secondes se sont appuyées sur de nombreuses caractéristiques du modèle low cost, en tout cas en ce qui concerne les passagers de classe économique. La compagnie easyJet fut une des premières à passer le cap : dès 1996 et après moins d’un an d’existence, les trois premiers aéroports desservis en dehors du Royaume-Uni ont été Amsterdam-Schiphol, Barcelona-El Prat et Nice. Il s’agissait de trois aéroports d’importance, alors que nous devions jusque-là voler vers des aéroports secondaires, moins chers et moins encombrés. Depuis lors, le modèle a évolué dans ce sens et aujourd’hui, il est difficile de distinguer, en tout cas pour les vols court et moyen-courrier, les compagnies low cost des compagnies traditionnelles, car les différences entre elles sont minimes.
Il y a 25 ans, la libéralisation du transport aérien a été une révolution en Europe. Cela sera-t-il suffisant pour contourner le Brexit ?
La libéralisation européenne a permis à des millions de britanniques de bénéficier de bonnes liaisons aériennes à des prix abordables, jusqu’alors impensables, et des millions d’européens ont pu fréquemment se rendre au Royaume-Uni à des prix très bas, ce qui a permis dans les deux cas une amélioration de la qualité de vie et un élargissement incomparable des horizons vitaux des citoyens. Par conséquent, il est difficile de penser que les politiciens, de l’un ou l’autre bord, oseront prendre des mesures qui limitent ce niveau de liberté atteint. En effet, à court terme, il pourrait y avoir un impact au niveau opérationnel, en cas de sortie sans accord, ce qui signifierait que le Royaume-Uni serait considéré comme un pays tiers, avec toutes les conséquences que cela comporte. Mais cette situation aurait un tel impact sur les citoyens qu’à mon avis, les deux parties n’auraient d’autre choix que de parvenir à un accord, du moins en ce qui concerne l’aviation commerciale. Espérons que cette situation ne se présente pas et que l’on puisse assister à une sortie ordonnée.
La structure du secteur des compagnies aériennes est différente aux États-Unis et en Europe. Dans quelle direction ces marchés évoluent-ils ? Quelles sont leurs principales forces et faiblesses ?
Dans les deux cas, on observe une tendance à la consolidation, bien que les États-Unis bénéficient d’un avantage, non seulement parce que le marché y a été libéralisé presque vingt ans plus tôt qu’en Europe, mais aussi en raison de la structure différente du marché, due au fait qu’il n’y a qu’une nation d’un côté et un groupe de nations de l’autre. Par conséquent, les cinq principaux groupes de compagnies aériennes des États-Unis possèdent une part de marché supérieure à 70 %, alors qu’en Europe elle n’atteint pas 50 % ; il reste donc un long chemin à parcourir. Mais n’oublions pas que le cadre réglementaire n’est pas d’une grande aide, étant donné qu’une grande partie de l’aviation commerciale mondiale est toujours régie par des accords bilatéraux, où les clauses de propriété et de contrôle sont fondamentales ; la consolidation européenne est différente et se fait à travers des groupements de compagnies aériennes.
Comment imaginez-vous le transport aérien en Espagne dans cent ans ?
Il est déjà difficile de l’imaginer dans les cinq ou dix années à venir et je ne me risquerai pas à imaginer un avenir aussi lointain. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il s’agira nécessairement d’un mode de transport entièrement durable et respectueux de l’environnement, et qu’il continuera à améliorer considérablement la vie de millions de citoyens, grâce à sa capacité à rapprocher les gens. Tant que la téléportation ne sera pas découverte, il restera irremplaçable.