Il y a plusieurs années, alors que je travaillais à la fabrication d’un avion de ravitaillement en vol, quelqu’un m’a fait un commentaire qui m’est resté à l’esprit depuis : « Les deux choses les plus difficiles que l’on puisse faire avec un avion en vol sont les suivantes : la première est sortir par un hublot, sauter de l’aile d’un avion à celle d’un autre avion et entrer par un de ses hublots, la deuxième est effectuer un ravitaillement en vol ». Cette comparaison, même s’il s’agissait d’une plaisanterie, montrait bien la complexité technique et opérationnelle d’un transfert de carburant en plein vol. Paradoxalement, et bien que cela paraisse incroyable, le premier ravitaillement en vol a vécu les deux situations : le 12 novembre 1921, Wesley May, qui volait sur un Lincoln Standard piloté par Frank Hawks, attrapa un bidon de carburant et monta sur un Curtiss JN-4 qui volait au-dessus, piloté par Earl Daugherty et il réussit à verser 18 litres de carburant dans le réservoir. C’était l’époque fascinante des pionniers de l’aviation et cette réussite n’était qu’une des nombreuses acrobaties périlleuses qui fascinaient le public. Le premier ravitaillement intéressant d’un point de vue opérationnel fut réalisé un peu plus tard par les Forces armées des États-Unis, le 23 juin 1923, en utilisant un tuyau qui laissait s’écouler le carburant par gravité.
Le ravitaillement en vol est l’une des opérations les plus difficiles et les plus risquées, que ce soit d’un point de vue technique ou opérationnel.
De manière générale, tous les aéronefs ont besoin de carburant pour leur propulsion. Il est d’usage, après son chargement, de le consommer presque entièrement à chaque trajet. Dans l’aéroport de départ, les réservoirs sont remplis au minimum afin d’arriver à destination en toute sécurité, car plus l’avion est léger, plus les coûts d’exploitation sont faibles. La quantité de carburant se calcule en multipliant la longueur du trajet par la consommation moyenne par kilomètre, ce à quoi on ajoute un petit pourcentage qui constitue une marge de sécurité en cas d’imprévu. C’est ainsi sur la plupart des vols civils, car la destination et la consommation sont généralement connues à l’avance. Toutefois, dans le domaine militaire, il existe d’autres types d’exigences, par exemple dans les vols de patrouille où l’avion doit rester en vol le plus longtemps possible sans retourner à la base, ou lors des missions pour lesquelles il doit étendre son autonomie au-delà de la capacité de son réservoir. Pour ces opérations, il était nécessaire de concevoir un système de réapprovisionnement en vol.
Dans tout ravitaillement en carburant, deux rôles se complètent : l’aéronef qui fournit le carburant, appelé avion-citerne ou ravitailleur, et l’aéronef qui le reçoit, habituellement plus petit, mais pas nécessairement, car il peut s’agir d’un autre ravitailleur ou même d’un avion plus gros, comme dans le cas d’un bombardier.
En général, les avions transportent le carburant au niveau des ailes, afin d’équilibrer au mieux le centre des masses, et d’assurer une bonne navigabilité. De plus, comme il s’agit d’un fluide, les charges doivent être réparties entre différents réservoirs reliés mais indépendants les uns des autres. En ce qui concerne le carburant transféré par les avions-citernes, il peut provenir des réservoirs dont ils disposent pour leur propre consommation, ou de réservoirs supplémentaires, habituellement situés dans la soute.
Il existe deux méthodes pour fournir du carburant :
– Pod, tuyau et panier : ce système dispose de conteneurs aérodynamiques dans la partie extérieure de l’avion-citerne, que l’on appelle des « pods ». L’équipage libère des tuyaux flexibles qui pendent dans le sens inverse du vol. Ces tuyaux se terminent par des paniers qui assurent la stabilité aérodynamique et servent d’entonnoir pour faciliter l’accouplement, grâce à une perche ou un mât situé sur le récepteur. Pour des raisons d’aérodynamisme, cette perche peut être rétractable et n’être sortie que pour le ravitaillement.
Les pods sont munis de signaux lumineux aux couleurs des feux de circulation (vert, jaune et rouge) qui servent à communiquer pendant la phase de ravitaillement. Un pod se trouve sur chaque aile, ce qui permet de ravitailler deux avions simultanément ; on trouve même parfois un troisième tuyau au niveau du fuselage central. La longueur du tuyau varie entre 15 et 30 mètres et son débit, entre 1 500 et 2 000 livres par minutes. Plus le tuyau est long, moins l’impact aérodynamique est important sur l’avion récepteur, mais le débit de transfert s’en trouve réduit.
Ce système de ravitaillement est celui qui est habituellement utilisé pour les petits aéronefs, tels que les avions de chasse et les hélicoptères, qui sont, soit dit en passant, les destinataires les plus fréquents du ravitaillement en vol.
– Perche (bout-dehors ou boom en anglais) : il s’agit d’un tuyau rigide et télescopique relié à la partie arrière du fuselage central. Pour fonctionner, il est relâché vers le bas, de la même manière que l’on ouvre un compas. Dans cette position, il peut être étendu ou rétracté. En raison de sa taille, il subit des forces aérodynamiques telles qu’il a besoin de gouvernes sous forme d’ailettes, fixes ou mobiles, comme s’il s’agissait d’un tout petit avion. Sa complexité est telle que la présence d’un opérateur dédié à la maîtrise de ses mouvements et de ses performances est nécessaire, ce qui augmente les coûts d’exploitation.
La partie télescopique du boom est introduite dans une ouverture appelée UARRSI (Universal Air Refueling Receptacle Slipway Installation), située sur l’avion récepteur. L’accouplement est une opération très délicate en raison du risque d’endommager les composants rigides des deux avions.
Qu’une seule perche par avion n’est prévue, de sorte qu’un seul avion peut être ravitaillé en carburant à la fois. La longueur de la perche est plus courte que les tuyaux, entre 10 et 15 mètres, et plus large, ce qui permet de meilleurs débits de transfert, de près de 6 000 livres par minute.
Ce système est utilisé habituellement pour les grands avions, transportant des passagers des patrouilles, des bombardiers, etc. Il est également utilisé pour les avions de chasse, qui n’en profitent pas au maximum car ils n’admettent qu’un débit d’environ 3 000 livres. On ne peut cependant pas l’utiliser pour les hélicoptères.
Les deux systèmes désormais présentés, il est nécessaire d’indiquer qu’ils sont compatibles, raison pour laquelle ils sont souvent associés.
En ce qui concerne la forme et les autres systèmes d’un avion-citerne, ils ne diffèrent pas beaucoup de ceux d’un avion normal de taille moyenne ; en fait, il a souvent été décidé de modifier, dans une plus ou moins grande mesure, les programmes existants afin de les doter d’une fonction de ravitaillement. Il arrive même que l’on modifie des avions déjà construits.
Pour finir, citons quelques avions-citernes parmi les plus célèbres :
– Le premier à être muni d’un système de perche a été le Boeing KC-135 Stratotanker, créé à partir du Boeing 367-80 (semblable au 707), pour l’armée américaine dans les années 50. Son succès a été tel qu’il est toujours utilisé de nos jours.
– Dans les années 80, McDonnel Douglas a créé le KC-10, sur la base d’un DC 10-30. Soixante avions ont été construits et restent encore en service.
– Récemment, le MRTT (Multi Role Tanker Transport), créé par Airbus sur la base de l’avion de passagers A330-200 s’est distingué et est exporté hors d’Europe à des pays comme l’Australie ou les Émirats arabes unis.
– Le plus récent, dont la première unité a été remise en janvier 2019, est le modèle KC-46A. Boeing l’a conçu sur la base du 767, pour un contrat d’environ 200 unités, grâce auxquelles l’USAF a pour intention de renouveler sa flotte d’avions-citernes. Il concurrence le MRTT sur le marché actuel et nous espérons, comme c’est souvent le cas en aéronautique, que ce ne sera pas un obstacle pour de nouveaux développements et innovations.