Jose Manuel Hesse Martin, Ingénieur aéronautique, Directeur des Operations, ISDEFE.
« Le meilleur modèle est celui qui permet d’offrir le service le plus adapté au meilleur coût possible, tout en garantissant la durabilité des activités aéroportuaires. »
Votre formation d’ingénieur aéronautique et votre expérience professionnelle, forte de plusieurs décennies en planification et gestion d’aéroports, font de vous la personne indiquée pour nous offrir une brève rétrospective sur l’évolution des infrastructures aéroportuaires…
Il ne fait aucun doute que les infrastructures aéroportuaires, et plus particulièrement les terminaux, ont connu une transformation majeure au cours des dernières années, que l’on pourrait résumer en soulignant qu’actuellement, dans les aéroports, l’importance des systèmes l’emporte sur le béton :
d’un point de vue conceptuel, l’examen des terminaux montre qu’ils sont passés du statut de « bâtiments singuliers » à celui de « conteneurs de procédures ».
Les infrastructures aéroportuaires ont toujours été nécessaires à la prestation de services ; si, dans le passé, l’infrastructure était conçue de façon à y adapter les services, aujourd’hui les procédures sont définies pour être les plus efficaces possible et l’infrastructure (bâtiments en béton et systèmes) est devenue un élément participant, mais jamais l’élément principal de la conception, comme c’était le cas dans le passé.
Comment concevez-vous l’aéroport du futur ?
L’aéroport peut être défini comme étant une « ville de passage », un lieu d’accueil où l’on ne vit pas mais où l’on retrouve toute la complexité d’une cité ; dans cette optique, l’aéroport du futur pourrait être défini comme étant une « ville intelligente où l’on fait escale ».
Ce qui est sûr, c’est que l’aéroport du futur sera un établissement où les procédures aéroportuaires seront conçues en se concentrant sur la simplification et, grâce à la numérisation et à l’utilisation intensive de technologies liées aux grands volumes de données (Big data), aux chaînes de blocs (blockchain), à l’IdO et l’apprentissage automatique, les procédures seront pratiquement transparentes pour le passager, tout en permettant la création de modèles d’affaires proposant de nouveaux produits et services.
L’automatisation des procédures et la mise au point des dernières technologies ont pour but de réduire les temps d’attente dans les aéroports. Cependant, les nouvelles infrastructures aéroportuaires deviennent pratiquement des villes où les passagers bénéficient de nouvelles expériences en attendant le décollage de leur avion. Cela n’est-il pas contradictoire ?
Dans un premier temps, oui ; il est évident que les grands espaces commerciaux conçus dans les terminaux semblent contraires à l’idée d’un aéroport dont la priorité est de minimiser les parcours entre la porte d’accès au bâtiment et la porte d’embarquement.
Comme dans d’autres activités commerciales, la solution réside dans la segmentation des passagers et dans le fait de comprendre que chaque segment de passagers a des priorités différentes.
Les terminaux doivent proposer des « voies rapides » qui permettent au passager habituel de réduire le temps nécessaire pour accéder à l’avion et des espaces « slow life » conçus pour le repos, où le passager peut profiter d’expériences de loisir ou de zones où il est possible de travailler pendant l’attente.
En résumé, l’aéroport doit pouvoir garantir, dans certains cas, que le temps nécessaire pour arriver à la porte d’embarquement soit le plus court possible ; il doit en même temps offrir les espaces les plus attirants de la ville pour se reposer ou pour poursuivre son travail, tout en attendant l’embarquement.
En matière de gestion des aéroports, quel est d’après vous le meilleur modèle d’affaires dans le domaine aéroportuaire en terme d’efficacité ?
Je pense que le meilleur modèle est celui qui permet d’offrir le service le plus adapté au meilleur coût possible, tout en garantissant la durabilité des activités aéroportuaires. En dehors du débat privé-public, le sujet est la garantie de l’efficacité et de la qualité du service.
Les aéroports sont des monopoles (la seule concurrence réelle concerne les grandes plateformes aéroportuaires) ; ainsi, la réduction des coûts, pour garantir des prix de services les plus bas possible, devrait être l’une des principales priorités du modèle ; l’autre devrait être d’assurer la qualité des services fournis et de minimiser leur impact sur l’environnement, tout en assurant des revenus suffisants pour la durabilité de l’entreprise, sans attendre un rendement élevé sur investissement, tout au moins en ce qui concerne le revenu purement « aéronautique ».
En tant qu’expert et grand connaisseur du secteur de l’aviation, que pensez-vous de la différence entre les investissements dans des infrastructures de marchés bien établis comme l’Europe ou les États-Unis, et les investissements réalisés dans de nouveaux aéroports de la zone Asie-Pacifique ou du Moyen-Orient ?
L’Europe et les États-Unis sont des marchés parvenus à maturité et bien réglementés ; investir dans des aéroports dont les infrastructures n’ont pas de besoins de croissance est, à long terme, un investissement sûr qui ne présente en principe pas de risques imprévus.
Par contre, dans le cas où des installations de l’aéroport devraient être agrandies, le processus pourrait être long et, parfois, pratiquement impossible ; cela rend difficile l’évaluation de la concession car il existe une incertitude quant au moment où l’infrastructure nécessaire sera disponible pour garantir la croissance de la demande et avec elle les revenus grâce auxquels la concession sera viable.
Les marchés de la région Asie-Pacifique ou du Moyen-Orient connaissent une croissance beaucoup plus dynamique et l’on peut s’attendre à une forte augmentation de l’activité à court terme ; dans le cas de nouveaux aéroports, les investissements de départ sont très importants, dans un contexte de moindre stabilité politique à moyen et long terme, augmentant ainsi le risque.
Nous avons récemment participé à une journée intitulée « Architecture et ingénierie aérospatiale », où a été exposée la relation de collaboration de plus en plus intense entretenue entre les deux professions, qui a donné naissance à un nouveau terme : les « architectes-ingénieurs ». D’après vous, ces dernières années, comment a évolué la symbiose issue de cette collaboration ?
J’ai toujours connu ce manque d’entente entre ingénieurs et architectes ; les premiers se concentrent sur les procédures et les seconds sur la conception générale du bâtiment, d’un point de vue spatial et esthétique.
Au cours de la construction du terminal T4 de l’aéroport de Madrid, cela n’a pas été le cas : la coordination entre les équipes d’ingénieurs et d’architectes a permis de prendre de nombreuses décisions de manière conjointe et d’arriver ainsi à des solutions valables, que ce soit d’un point de vue fonctionnel ou esthétique.
Cet exemple devrait être suivi à l’avenir ; les terminaux doivent être le résultat d’un travail d’équipe et les équipes doivent prendre en compte les différents professionnels qui garantiront que tous les aspects qui définissent un terminal moderne et efficace seront pris en compte ; cela va au-delà des architectes et des ingénieurs.