Nous sommes au mois d’août, il est 22 heures. Une vague de chaleur, favorisée par un fort levant (vent fréquent en cette période de l’année), traverse le sud de l’Europe d’est en ouest. La nuit, les températures ne descendent pas en dessous de 30 °C ; dans la journée, lorsque le thermomètre dépasse 40 °C, la chaleur est étouffante.
Dans la fourgonnette, un peu à l’étroit, nous sommes deux opérateurs de Système d’Aéronef Télépiloté (SATP) à voilure fixe (plus communément appelé « drone »), accompagnés du coordinateur des opérations.
Pendant la saison des incendies, tout le matériel doit être en permanence opérationnel afin d’être prêt à être utilisé dès la première alerte.
De manière simplifiée, le système est un aéronef sans pilote démontable équipé d’un système de navigation autonome sophistiqué ; commandé à distance par un opérateur au sol, il transmet en temps réel les images enregistrées par une caméra optique haute définition et une caméra coaxiale à infrarouges d’une résolution de 640 x 480 pixels.
Nous sommes en pleine saison des incendies de forêt et nous avions reçu une alerte préalable : nous savions donc que ce moment avait de fortes chances d’arriver précisément ce soir. En cette période propice aux incendies, l’ensemble du matériel doit être opérationnel en permanence afin de pouvoir être utilisé dès la première alerte. Malgré ces précautions, la procédure exige que le matériel soit de nouveau contrôlé juste avant de partir en intervention. C’est à ce moment-là que l’adrénaline commence à monter.
Ce soir, les pompiers nous ont confirmé que l’incendie dont ils nous ont parlé ce matin n’a finalement pas été contrôlé, qu’il se propage vers des noyaux urbains et qu’il faut donc intervenir de toute urgence.
Notre mission consiste à manœuvrer un SATP à voilure fixe au-dessus de l’incendie au cours de la nuit, afin d’assister les opérations en fournissant une information directe et continue sur la situation.
Au fur et à mesure que nous approchons de la zone incendiée, alors que nous ne sommes qu’à quelques kilomètres, nous commençons à sentir l’odeur de broussaille brûlée et à apercevoir le rayonnement des flammes se reflétant dans les nuages de fumée qui en émanent.
Les gyrophares bleus des véhicules de la gendarmerie espagnole, chargée de dévier le trafic vers des zones sécurisées, soulignent l’activité inhabituelle des environs. Après avoir vérifié notre identité, les agents nous permettent d’emprunter la route conduisant directement au front de l’incendie, qui se trouve face au vent. Les premières fois que l’on s’approche volontairement d’un incendie, on est fortement impressionné par le déchaînement de violence auquel on est confronté. La nuit, l’éclat intense des flammes, visible de loin, donne une idée très claire de son ampleur et de sa rapide avancée.
Nous arrivons au poste de commandement mobile (PCM) : il s’agit essentiellement d’un camion tout-terrain sophistiqué où sont centralisés tous les renseignements et communications collectés pendant une situation d’urgence, afin de coordonner l’intervention. Sur place, nous nous identifions auprès des autorités et confirmons les moyens et protocoles de communication que nous avons employés au cours de l’année. Aux alentours du PCM, les équipes s’activent sans répit dans un climat d’urgence palpable. Des soldats du feu viennent apporter les dernières nouvelles du front avant de repartir avec de nouvelles instructions, en fonction des dernières informations reçues et analysées.
Une fois l’enregistrement du vol et l’autorisation confirmés, nous retournons à notre base d’opérations, située non loin de là, dans une zone délimitée et sécurisée, d’où nous procéderons immédiatement au déploiement et à la mise au point de l’équipement pour le démarrage des opérations.
Le système aérien sans pilote est enfin prêt. La liste de vérification a été contrôlée et tous les voyants sont au vert. La transmission des images est fluide, la réception est bonne. Nous contactons une dernière fois le PCM par talkie-walkie pour demander l’autorisation d’amorcer le vol. L’autorisation reçue, l’opérateur introduit le code de confirmation et l’aéronef entame le décollage en toute autonomie avant de prendre la direction de l’incendie et le survoler. Il fait nuit noire. Nous perdons l’aéronef de vue alors qu’il n’a parcouru que quelques mètres et n’apercevons plus que ses feux de position et anticollision. Sous la surveillance de l’opérateur installé devant ses écrans d’ordinateur à l’arrière de la fourgonnette, le SATP poursuit sa mission et transmet les images collectées en vol automatique.
Le PCM commence alors à recevoir les images des caméras à infrarouges et électro-optiques ultra-sensibles. Les données de référencement géographique capturées par le drone, quant à elles, permettent de situer sur une carte chaque image de la progression de la ligne d’incendie.
Jusqu’à présent, les informations sur les lignes d’avancement du feu disponibles de jour ne l’étaient pas la nuit. Ces précieux renseignements rendent la prise de décisions de nuit dorénavant plus facile, sécurisée et efficace et, grâce à ces outils, la nuit ne fait plus obstacle à la lutte de l’homme contre le feu.
Les informations visuelles et géographiques en provenance du drone sont traitées par les experts en poste au PCM. L’observation en temps réel de l’évolution de l’incendie leur permet ainsi d’affecter avec précision les ressources humaines et matérielles aux points les plus stratégiques et de continuer à travailler jusqu’au lever du jour.
Ce récit, qui peut paraître fictif, voire fantastique, ne l’est pourtant pas : il relate des événements ayant récemment eu lieu lors d’un grand incendie de niveau 2 dans le sud de l’Espagne.