À l’aube de l’aviation, n’importe quel trajet aérien, aussi court qu’il nous paraisse aujourd’hui, représentait un véritable défi. Au début du XXe siècle, plusieurs mécènes proposaient d’importantes récompenses à ceux qui osaient battre de nouveaux records. Chaque traversée, chaque nouvelle altitude atteinte, chaque dépassement de vitesse ou chaque innovation étaient traités comme de véritables exploits. Et il s’agissait bien de cela.
Pendant des siècles, l’océan Atlantique a relié les cultures occidentales ; le défi consistait à établir une communication efficace entre ses deux rives. Lorsque les premiers engins volants sont apparus, le fait de traverser l’océan Atlantique est devenu une obsession pour de nombreux aventuriers. Cependant, de par les limites de la technologie, cela fut impossible jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.
Certains des exploits les plus importants de l’histoire de l’aviation ont été réalisés au-dessus de l’Atlantique.
Alors, qui a été le premier pilote à traverser l’Atlantique ? Il existe plusieurs réponses à cette question, très nuancées.
En 1919, le prestigieux journal London Daily Mail offrait une récompense de 10 000 livres sterling au premier pilote qui relierait les deux continents sans escale. Plusieurs équipes tentèrent leur chance. L’une d’entre elles était composée de deux agents de la Royal Air Force (RAF), le capitaine John William Alcock et un lieutenant d’origine écossaise, Arthur Whitten Brown. Ils étaient respectivement âgés de 26 et 32 ans.
Pour réaliser ce défi, le choix d’Alcock s’est porté sur un bombardier Vickers Wimy modifié, un biplan de 13 mètres de long et d’une envergure de 21 mètres. Il était fabriqué par Vickers Limited, la société où travaillait Brown (la principale raison pour laquelle Alcock l’avait choisi comme copilote).
Logiquement, le trajet le plus indiqué était celui reliant l’Irlande et la région de Terre-Neuve, la distance la plus courte entre les deux continents. Étant donné que les vents dominants dans cette zone de l’Atlantique soufflent d’ouest en est, et suite à un accident survenu à l’une des équipes au départ de l’Irlande, il avait été décidé que le vol se ferait au départ de Terre-Neuve. Ils n’étaient pas les premiers. D’autres équipes avaient tenté leur chance depuis le même endroit, mais sans succès.
Une fois à Saint John, en Terre-Neuve, dans l’attente de conditions climatiques propices à un bon vol, ils apprirent qu’un hydravion de l’armée américaine avait traversé l’Atlantique, même s’il avait dû faire une escale obligatoire dans les Açores, ce qui le disqualifiait pour la récompense. Alors, pour éviter toute surprise, Alcock décida de précipiter la sortie.
Le 14 juin n’était pas vraiment la journée idéale pour cette tentative, les courants atmosphériques n’étant pas spécialement favorables. Mais un changement soudain du vent l’a rendue possible, à une vitesse de 60 km/h. La décision fut immédiate et après un décollage hésitant dans un champ très cahoteux (image en en-tête), ils mirent le cap vers l’est.
Au bout d’une heure, au-dessus des eaux, ils furent plongés dans un épais brouillard et perdirent une pièce fondamentale du générateur de la radio. À partir de ce moment-là, ils ne pouvaient que recevoir des messages et non en émettre : personne ne pourrait plus avoir de leurs nouvelles jusqu’à leur arrivée à destination.
Peu après, le tuyau d’échappement de l’un des moteurs Rolls Royce Eagle VIII qui propulsait l’appareil (350 chevaux, sur le flanc tribord) se détacha. Le bruit devint alors assourdissant ; les deux pilotes ne pouvaient communiquer que par signes.
Après une nuit interminable, le jour se leva dans un brouillard tellement épais qu’ils n’arrivaient pas à voir le bout des ailes. Ils avaient même perdu le sens de l’horizontalité et de l’orientation. En sortant du brouillard, ils se retrouvèrent dans une situation embarrassante : ils volaient à peine à 15 mètres des vagues, dans le sens contraire à celui qu’ils devaient suivre. Dès qu’ils reprirent leur trajet vers l’Europe, ils furent surpris par une terrible tempête de neige et de grêle qui provoqua l’obstruction de certains indicateurs et conduits essentiels pour le vol. Ils furent obligés de ramper hors de la cabine, sur le fuselage et les ailes, pour dégager la neige de ces éléments (jauge de carburant, carburateurs, anémomètre, etc.), par un froid d’environ 20 degrés en dessous de zéro. Ils n’avaient que quelques sandwichs, du chocolat et du café pour s’alimenter et se réchauffer.
Le 15 juin, vers 8 h 30, ils atteignirent la côte irlandaise et atterrirent dans une zone marécageuse, à quatre kilomètres de Clifden, dans le comté de Galway, où le Vickers Wimy plongea du nez dans la boue. Les deux pilotes étaient indemnes : ils avaient réussi. Ils venaient de traverser l’océan Atlantique, pour la première fois sans escale, lors d’un voyage de 3 124 kilomètres, en un peu plus de 16 heures.
Trois ans plus tard, deux pilotes portugais, Gago Coutinho et Artur de Sacadura, réussirent le premier vol sans escale dans l’Atlantique Sud à bord du Lusitania, un monomoteur Fairey IIID spécialement conçu pour ce voyage. Il s’agissait d’un avion de reconnaissance britannique de 11 mètres de long et 14 mètres d’envergure.
Le vol partit de Lisbonne et prévoyait d’effectuer plusieurs escales. L’étape la plus longue, celle de la traversée de l’Atlantique, partit de Praia, au Cap-Vert, à destination de l’archipel de Saint-Pierre et Saint-Paul, au Brésil. Après ce trajet d’un peu plus de 1 700 kilomètres, ils perdirent un des flotteurs de l’hydravion à l’amerrissage, à cause d’une très forte houle.
Après plusieurs autres étapes, des amerrissages forcés, des dérives, encore plus de vagues et deux autres avions Fairey IIID de remplacement, ils atteignirent finalement Rio de Janeiro.
Mais ce vol eut un mérite supplémentaire : Gago Coutinho, chargé de la navigation, eut l’idée d’adapter un horizon artificiel à un sextant, ce qui lui permit, pour la première fois dans l’histoire de l’aviation, d’effectuer un vol uniquement à l’aide de la navigation astronomique. Il a ainsi, sans aucun doute, marqué une réelle avancée pour l’aviation.
Pour en revenir à l’Atlantique, un des noms les plus populaires parmi les pionniers de la traversée de cet océan est celui de Charles Lindbergh.
Il était attiré par la récompense de 25 000 dollars offerte par l’homme d’affaires new-yorkais Raymond Orteig, qui serait attribuée à celui qui effectuerait un vol entre les deux continents et non entre des îles comme pour le vol d’Alcock. À partir de là, plusieurs pilotes tentèrent d’effectuer le vol entre New York et Paris, en vain.
Charles Lindbergh entreprit d’effectuer le vol en solitaire, avec un avion monomoteur et étant donné les tentatives précédentes, cela semblait téméraire.
Le 20 mai 1927, Lindberg décolla de Long Island, à New York, à bord d’un monoplan à ailes hautes construit spécialement pour ce vol par Ryan Co, de San Diego. Son seul moteur, un Whirlwind de 9 cylindres, lui permit de maintenir une vitesse moyenne de 173 km/h. Les instructions pour la conception de l’avion étaient claires : en améliorer l’autonomie, réduire le poids et optimiser l’aérodynamique.
Parmi les préparatifs du vol, la priorité de Lindbergh était de rester éveillé durant plusieurs heures. Pendant son entraînement, il resta jusqu’à 55 heures sans dormir. Même pendant le vol, il vola à l’altitude la plus basse possible pour que l’écume des vagues l’aide à rester éveillé. C’était son plus grand défi.
Contrairement au vol d’Alcock, où les quelques habitants venus à la rescousse du biplan qui venait d’atterrir s’intéressèrent à peine au fait que l’avion arrivait d’Amérique, Lindbergh était attendu par une centaine de milliers de personnes à l’aérodrome du Bourget, en région parisienne. Le nom du pilote est resté gravé dans l’histoire et c’est à ce moment précis que le destin de l’aviation a changé pour toujours.
Pendant toutes ces années, de nouveaux événements liant l’aviation et l’Atlantique se sont produits, ajoutant des noms, parfois peu connus, à la liste des pionniers déjà cités : Dieudonné Costes, Joseph Le Brix, Amelia Earhart, Mariano Barberán, Joaquín Collar, etc. Quelques années après le vol de Lindbergh, les premières compagnies aériennes ont traversé l’océan avec des passagers à bord.
Mais ceci est une autre histoire…