Entretien réalisé par RPASLife avec Rafael Marquez, Directeur de Systèmes pour l’Aérospatiale et la Défense, AERTEC Solutions.
Que pensez-vous de l’évolution du secteur des SATP ?
Je ferais la différence entre les utilisations récréatives, commerciales ou industrielles. Depuis quelques années, bien sûr, le progrès au niveau récréatif est assez impressionnant. Il y a à peine 3 ans, peu de personnes connaissaient les termes « drone », « SATP » ou « UAV ». Aujourd’hui tout le monde possède quelques connaissances sur ces équipements.
Au-delà de leur utilisation récréative, on les retrouve un peu partout ; cela a permis à de nombreuses entreprises de trouver des applications technologiques ou industrielles leur permettant d’optimiser et de rendre plus efficaces, de manière alternative, les activités autrefois réalisées par d’autres moyens.
Nous parlons toujours de manière générique des SATP ; je pense que leur véritable intérêt réside dans leur application.
D’un point de vue industriel — celui que je maîtrise le mieux — je pense que ces équipements sont à l’origine d’une demande de service de la part des clients potentiels que notre entreprise, dédiée à la technologie, est capable de fournir de manière optimale et efficace. Pour conclure, je pense que l’essor de cette technologie au cours des dernières années a été assez positif.
Il est également vrai que nous parlons toujours de manière générique des SATP ; je pense que leur véritable intérêt réside dans leur application. Finalement, les SATP ne sont que des outils ; l’accent est souvent mis sur la plateforme (qu’elle soit à voilure fixe ou tournante), mais le plus intéressant se trouve sûrement dans les applications intégrées qui s’ajoutent à la charge utile et permettent d’accomplir des tâches autrefois impossibles à effectuer ou très onéreuses et qui, désormais, peuvent être exécutées à moindre coût.
Il est également important de souligner les différentes possibilités d’atteindre le marché via le produit ou à travers la prestation de service. Au-delà de la plateforme par elle-même et de l’expertise du pilote pour réaliser certaines acrobaties en vol, les vraies questions que l’on peut poser concernent ce que l’on peut offrir au marché et ce que l’on peut faire avec son équipement, que d’autres ne peuvent pas effectuer. Aujourd’hui, je peux enregistrer des vidéos en temps réel au cours d’un événement musical, en effectuant une tâche où six opérateurs et une grue auraient été nécessaires auparavant. Un service d’une qualité au moins équivalente est donc proposé à un prix réduit et permet de réaliser des bénéfices ; cette proposition n’a rien de nouveau, contrairement à la technologie que nous employons pour atteindre notre objectif.
Qu’en est-il de la réglementation actuelle ?
Même si, professionnellement parlant, je ne suis pas spécialiste sur ce créneau, je pense que pour l’ensemble des petites plateformes allant jusqu’à 2 kg, la tendance devrait être à la libéralisation de l’exploitation, autant que possible. Il existe des demandes réelles de service, des besoins qui ne sont pas couverts, comme les enregistrements vidéo lors d’événements sportifs ou d’activités culturelles, les relevés topographiques, l’assistance au génie civil, les alternatives en matière de loisirs, publicité, etc. ; une réglementation plus ou moins flexible serait nécessaire afin de pouvoir tirer profit de toutes ces initiatives d’entreprises, PME et micro-entreprises qui investissent et tentent de trouver leur place sur le marché.
Concernant les aéronefs de plus grande taille — et toujours d’après ma propre expérience — il est certain que les démarches administratives nécessaires pour pouvoir mettre en vol une plateforme d’une masse au décollage dépassant 25 kg sont plus compliquées. Il est logique de s’attendre à ce que les autorités exigent des opérateurs toutes les garanties de sécurité et de qualité, lors de la mise en vol d’une plateforme susceptible de provoquer toute sorte de dommages dans le cas où le vol ne se déroulerait pas comme prévu.
Il est probable que la réglementation connaisse plusieurs ajustements, auxquels devraient participer aussi bien l’administration que les fabricants et, bien entendu, les utilisateurs finaux.
Il faudra donc attendre pour connaître la nouvelle réglementation et nous, entreprises, devrons nous adapter pour optimiser nos processus internes de production afin de rester compétitifs.
Pensez-vous qu’il sera possible de voir un SATP dans un espace aérien non réservé ?
Je pense en effet que d’ici peu, en allant nous promener en compagnie de nos enfants dans un centre commercial, nous pourrons voir des quadrirotors qui viendront nous proposer des remises dans un magasin de vêtements. En y réfléchissant bien, 80 % des activités commerciales envisageables pourraient être effectuées sans difficulté à l’aide de plateformes de moins de 6 kg.
Traditionnellement, les SATP plus volumineux étaient destinés à des opérations de secours, de vigilance, etc. dans le domaine militaire. Leur approche initiale était d’opérer dans un cadre restreint mais dernièrement, plusieurs initiatives très puissantes destinées à des applications civiles souhaitent avancer dans l’intégration dans un espace aérien non réservé. Ce n’est donc plus qu’une question de temps.
Il existe aujourd’hui une prolifération de petits drones : pensez-vous qu’ils pourraient également intégrer cet espace ?
Je le pense, en effet. Comme je l’ai dit auparavant, les petits drones sont dédiés aux loisirs ou à une utilisation commerciale, c’est-à-dire un service dispensé au client final et non pas entre entreprises. Nous en serons bientôt témoins. Bientôt, lorsque nous nous promènerons dans la rue, des drones viendront nous proposer des publicités sur mesure puisqu’ils pourront se connecter à nos téléphones mobiles et sauront ainsi quel type de rafraîchissement ou de parfum nous plaît. Cela parait très futuriste mais arrivera bien plus tôt qu’on ne le pense.
Quelle est l’implication de votre entreprise, AERTEC SOLUTIONS, dans le secteur des SATP ?
Nous nous concentrons sur le segment des SATP de plus de 20 kg et sur les applications d’intelligence artificielle, surveillance et reconnaissance. Nous travaillons sur la technologie SATP depuis 2007 (alors appelée UAV), initialement à travers des programmes de R et D et, depuis plusieurs années maintenant, à travers des programmes industriels.
Depuis, nous focalisons principalement notre travail sur le développement des systèmes embarqués : contrôle et navigation, gestion de puissance, charge utile, etc. ; à partir de là, nous avons formé une équipe performante d’ingénieurs qui n’a cessé de développer ses connaissances et ses capacités pour finalement créer sa propre technologie.
Même si au départ l’activité était centrée sur les systèmes, nous avons décidé, à un certain moment, d’utiliser notre technologie pour concevoir notre propre plateforme aérienne, en matériau composite. Ce projet s’est concrétisé et nous disposons aujourd’hui de TARSIS-25 et TARSIS-75, ce qui nous permet d’offrir au marché plusieurs solutions intégrales.
Quels sont vos projets, en cours ou futurs ?
Pour en revenir à ce que je disais précédemment, nous disposons aujourd’hui de deux produits de 25 kg et 75 kg, en fibre de carbone, entièrement conçus et fabriqués par AERTEC et intégrés à nos propres systèmes embarqués.
En ce qui concerne l’avenir, nous travaillons sur l’amélioration de la performance de nos plateformes en intégrant différentes charges utiles, afin de rendre notre offre de solutions plus complète. Nous souhaitons élargir les applications mises en œuvre afin d’aller plus loin, avec plus de puissance et de flexibilité pour pouvoir développer des tâches de manière plus sûre et efficace.
Quel personnel et quels professionnels travaillent chez AERTEC ?
AERTEC est une société d’ingénierie axée sur l’univers des aéroports et de l’industrie aéronautique et environ 75 % du personnel de la société est constitué d’ingénieurs dans toutes les disciplines : industrie, aéronautique, télécommunications, informatique, électronique, etc.
À vrai dire, l’avion n’est rien d’autre qu’un grand système de systèmes ; un SATP réunit le génie mécanique, les matériaux, les logiciels, l’électronique et, bien entendu, beaucoup de calculs aérodynamiques et structurels. Quant à la partie production, nous comptons des techniciens spécialisés dans la fabrication de composants électroniques, de câblage électrique et des spécialistes dans la validation des systèmes.
Nous avons la chance de disposer de nos propres capacités concernant le cycle de vie lors du développement du produit, la conception et le développement, aussi bien logiciel que matériel, ainsi que la simulation et le prototypage, jusqu’à la fabrication de pièces en fibre de carbone, leur intégration au sol et les essais en vol. Cela représente, en définitive, un grand nombre d’activités qui exigent un personnel très qualifié dans différentes disciplines techniques.
Nous ne pouvions pas terminer cet entretien sans vous demander : que pensez-vous du projet CEUS et de sa situation actuelle ?
Honnêtement, j’aurais aimé que son développement et sa mise en marche s’accélèrent davantage. Le projet CEUS verra le jour. Je crois que tout le travail accompli ne doit pas être perdu et je pense, d’ailleurs, que ce projet représente une niche potentielle de marché très intéressante, surtout axée sur les certifications et qualifications de SATP de taille moyenne à grande et je pense qu’il n’existe aucun projet en Europe qui égale ce que peut offrir le projet CEUS.
L’expérience du personnel de l’INTA, qui compte de nombreuses années en lancements d’avions-cibles, reste incomparable au niveau international. Ajoutez à cela d’excellentes conditions météorologiques pour pouvoir développer des vols dans ses installations pratiquement tout au long de l’année.
Il est évident que les conditions de départ sont excellentes, mais le projet a beaucoup trop ralenti alors que d’autres initiatives dont les propositions n’étaient pas aussi puissantes au départ s’établissent solidement. En définitive, je pense qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure.