De nos jours, l’avenir de la construction semble s’orienter vers ce qu’on appelle « l’usine du futur » (Factory of the Future ou FotF), l’usine intelligente ou l’industrie 4.0. Dans ma publication précédente, j’ai tenté de mieux expliquer ce terme (et sa version plus pompeuse : la 4e révolution industrielle), en faisant allusion au fait que cette nouvelle ère pourrait être encore plus importante pour le secteur de l’aérospatiale que les périodes de progrès antérieures.
La FotF présente de nombreuses perspectives différentes et des facteurs clés qui valent la peine d’être étudiés. L’un d’eux est l’Internet des objets, une autre expression à la mode. Nous connaissons probablement mieux ce concept du point de vue du consommateur domestique. Exemple classique : votre réfrigérateur envoie un message à votre smartphone pour lui indiquer qu’il faut acheter du lait avant de rentrer du travail parce que vous n’en n’avez presque plus, ou mieux encore, il le commande en ligne à votre place. Toutefois, l’un des principes de base de la FotF est la connexion entre les machines, les outils, les systèmes et même les pièces en cours de fabrication, en maximisant l’efficacité et, finalement, en faisant coïncider les moyens de production avec la demande des consommateurs. La FotF exigera des machines plus autonomes tandis qu’un réseau reliera tous les éléments y compris le composant humain.
L’introduction de cobots dans l’usine du futur permettrait un flux d’informations automatisé bidirectionnel entre les machines, les humains et le système de production intégré.
La robotique avancée jouera un rôle essentiel dans l’offre de machines autonomes. La robotique collaborative (parfois appelée à tort la cobotique ou cobots, voir plus bas) appartient à cette catégorie et elle peut travailler en parallèle avec l’Homme, et même collaborer avec lui. Cela est possible parce que ces nouveaux robots connaissent leur environnement et ils ont été conçus avec comme principal objectif la sécurité humaine, en intégrant la première loi de la robotique d’Asimov.
Le pionnier commercial de ce concept de robot collaboratif est une société qui s’appelle Rethink Robotics, fondée par Rodney Brooks, ancien professeur au MIT, fondateur de iRobot, et fabricant du robot aspirateur Roomba (certainement le premier robot qui soit véritablement un robot de consommation de masse). Comme le souligne Rethink Robotics, « pendant des décennies, les robots industriels ont orienté la fabrication vers de gros volumes et peu de variété…une industrie qui s’est jadis tournée vers l’automatisation en faveur des volumes, cherche à présent à se démarquer par la flexibilité car les consommateurs exigent plus de « sur mesure » et les délais sont de plus en plus serrés. » Baxter est leur solution, un outil d’automatisation plus facile à programmer, sans cage, qui commence à trouver sa place dans le secteur de la fabrication industrielle et notamment dans l’aérospatiale. Plus proche de nous, nous observons des tentatives similaires d’adaptation de robots collaboratifs à l’aérospatiale comme le projet pilote de l’usine de Puerto Real d’Airbus qui utilise Hiro, de Kawada. D’autres exemples arrivent sur le marché comme YuMi d’ABB ou APAS de Bosch.
Une erreur est fréquemment commise : il ne faut pas confondre ces nouveaux robots collaboratifs avec le cobot, un terme inventé par les professeurs Edward Colgate et Michael Peshkin de l’université de Northwestern que l’on pourrait considérer comme étant les pionniers d’un concept tout aussi révolutionnaire qui encourage la collaboration et la coexistence entre les humains et les machines, sans doute extrêmement proche de la bionique. Les premiers cobots ont été créés pour des applications dans l’automobile, en particulier pour plus de précision et de force physique par rapport à celles qu’offre l’Homme. On peut penser que les exosquelettes sont issus du même concept. En ce sens, le premier cobot que nous ayons vu « venait du futur » même avant que le terme ne soit inventé : c’était la sorte d’exosquelette, conçu pour la manutention de conteneurs lourds, que le lieutenant Ripley utilisait pour se débarrasser (du moins pensait-elle !) de l’infâme extraterrestre dans le célèbre film de Ridley Scott. Ce concept de la science-fiction est devenu une réalité et des prototypes d’exosquelettes multiples ont été récemment créés, principalement dans le secteur de la défense.
Peshkin et Colgate ont également développé des applications de cobotique pour d’autres secteurs tels que la transformation de la viande (un projet de R&D australien que j’ai eu le plaisir de diriger pendant plusieurs années), revenant à une partie de ce que l’industrie automobile avait supprimé au début du XXe siècle. Les cobots devraient être des outils intelligents permettant d’augmenter les capacités humaines mais ils ne peuvent pas fonctionner seuls alors que les robots collaboratifs sont des dispositifs autonomes.
Comme l’a indiqué M. Colgate dès le départ « les cobots ne peuvent tout simplement pas bouger tout seuls ». Les cobots doivent être des outils intelligents permettant d’augmenter les capacités humaines et lorsqu’ils sont utilisés pour la manipulation de matériel, ils font partie d’une catégorie plus large de dispositifs similaires aux robots que l’on appelle des dispositifs d’assistance intelligents (Intelligent Assist Devices ou IAD). Par conséquent, la différence est claire entre un cobot et un robot collaboratif : ce dernier est supposé être un dispositif entièrement autonome. On trouve une variation intéressante de ce concept dans certaines applications comme le KineAssist, un système conçu pour participer aux soins physiques, développé par M. Peshkin et ses associés, dont Julio Santos-Munné, qui ont également employé leur savoir-faire dans la production de prosthétiques intelligents, un grand pas en avant dans l’avenir de la bionique.
Verrons-nous un jour des cobots dans la construction aérospatiale ? Pas si sûr. Je ne connais pas à ce jour d’application spécifiquement réservée à l’aérospatiale mais j’adorerais que cela se produise. Le lien avec la FotF est tout à fait prometteur également parce que cela permettrait un flux d’informations automatisé bidirectionnel non seulement entre les machines mais également entre les humains et le système de production intégré. Imaginez un cobot qui fore et qui fixe, principalement un bras mécanique dirigé par une personne, similaire au bras d’exosquelette porté par le lieutenant Ripley. Cet outil permettrait à un Homme de tenir un pistolet de forage lourd facilement et de manière conviviale, tout en offrant aux personnes la précision de la machine : le cobot pourrait être programmé avec l’emplacement exact des orifices pour que la foreuse puisse uniquement se positionner correctement tout en permettant à la personne de contrôler la manière dont l’opération est réalisée et à quel moment. Nous pourrions aider l’opérateur à visualiser l’emplacement de l’orifice avec la réalité augmentée ou même des lunettes intelligentes. Et la beauté de ce système associant l’Homme et le cobot est qu’il pourrait entièrement remplacer les nombreux modèles de forage que chaque nouveau programme d’aéronef requiert, avec une solution flexible dans laquelle plusieurs cobots programmables actionnés par des personnes imiteraient les modèles avec des surfaces virtuelles où chaque jeu de nouveaux orifices est défini par un code reprogrammable. Une solution entièrement réutilisable avec seulement quelques nouvelles données à saisir définissant l’emplacement de l’orifice pour chaque nouvelle série de forages.
En plus de la réduction des coûts puisque les modèles de forage pour la construction deviennent totalement inutiles, voici en quoi consiste le lien avec la FotF : le cobot pourrait très facilement vérifier le nombre d’orifices qui ont été forés et à quel endroit, en les comparant avec le modèle numérique du composant structurel et en vérifiant également si toutes les étapes des consignes de travail ont été suivies (ou du moins celles pour lesquelles le cobot est utilisé par l’Homme). Cette approche permettrait l’intégration de l’élément Homme dans le réseau de la FotF, non seulement du point de vue physique mais également comme source d’informations sans requérir la saisie manuelle de données.