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AeroSHARK, une nouvelle « peau » pour les avions

Picture of José Luis Periañez

José Luis Periañez

AERTEC / Aerospace engineering

Comme chacun sait, la nature fait bien souvent office de référence et d’inspiration pour trouver des solutions aux problèmes technologiques auxquels nous sommes confrontés quotidiennement.

Vous imaginez un requin avec des ailes ? De toute évidence, cela n’a rien de très réel. Pourtant, dans le secteur de l’aéronautique, la peau du roi des océans pourrait permettre de réduire la consommation de carburant des avions grâce à une efficacité accrue.

Avant d’entrer dans les détails de la mise en œuvre de cette idée, il faut comprendre de quelle manière la peau d’un squale lui permet de se déplacer rapidement dans l’eau.

Cette technologie, qui imite la peau du requin, peut entraîner une réduction sensible des frictions sur la surface des avions, et donc une efficacité accrue.

Notons tout d’abord la forme aérodynamique du requin, qu’il partage avec les autres poissons, et qui lui permet de se déplacer très rapidement en dépensant un minimum d’énergie. Cependant, le secret de sa vitesse réside également dans sa peau. En effet, l’espèce aquatique la plus rapide du monde est le requin mako (ou requin taupe bleu), qui se déplace à une vitesse pouvant atteindre 124 kilomètres/heure.

Vous avez certainement vu beaucoup de photos ou de vidéos de requins, mais pour comprendre comment leur peau leur permet d’être aussi rapide, il faut observer celle-ci au microscope. Paradoxalement, cette peau qui leur garantit un déplacement très rapide dans un fluide se révèle très rugueuse au toucher, un peu comme du papier de verre. En effet, contrairement aux autres poissons, elle n’est pas composée d’écailles, mais de plaques en forme de dent.

Les écailles « placoïdes » des requins ont une caractéristique étonnante : de fines crêtes en relief, ou « côtes », le long de chaque écaille. Ces côtes sont alignées de manière à former de petites crêtes qui parcourent le corps du requin dans le sens de la longueur. Bien que ne mesurant que quelques micromètres, ces crêtes réduisent la friction avec l’eau lorsque le requin nage, ce qui lui permet de se déplacer plus rapidement sans dépenser davantage d’énergie.

De même, il a été démontré que les requins dont l’environnement fait qu’ils nagent plus lentement ont moins de crêtes sur leurs écailles longues et pointues.

C’est en 1970 que le paléontologue et biologiste allemand Wolf-Ernst Reif s’est penché le premier sur l’étude de la peau des squales, en soulignant la moindre résistance au flux des écailles du requin. Près d’un demi-siècle plus tard, ses observations ouvrent une piste prometteuse pour l’application de cette technologie dans l’aéronautique.

Le chemin n’a pas été facile ; différents prototypes ont été testés, en variant les matériaux et le positionnement des denticules. Dans ce projet, les imprimantes 3D ont grandement contribué à l’atteinte de conclusions fiables.

Dans les études les plus récentes, la reproductionde peau de requin en laboratoire a permis d’obtenir des données très claires : la friction avec le fluide environnant est réduite de manière significative.

Dans une expérience de l’université de Harvard, les chercheurs ont conclu que cette structure permettait d’augmenter la vitesse de 6,6 %, tout en réduisant l’énergie nécessaire pour y parvenir.

Pour arriver à ces conclusions, ils ont collé des échantillons de peau artificielle de requin de part et d’autre d’une membrane souple. Leur objectif était de tester l’échantillon lorsqu’il se tenait immobile dans un flux d’eau, puis en simulant le mouvement d’un squale. Ils ont ensuite mesuré les forces exercées alternativement sur la membrane immobile et en mouvement.

Les résultats ont démonté que l’imitation de peau de requin permettait de réduire la friction de 8,7 % dans un flux d’eau à faible vitesse. Avec une vitesse de flux plus élevée, la peau de requin offrait une résistance supérieure de 15 % à celle d’une membrane lisse. Cependant, en imprimant à la membrane les mouvements d’un poisson qui se déplace, les chercheurs ont constaté une amélioration considérable des performances de la peau de requin, avec une augmentation de la vitesse de 6,6 % et une réduction de la consommation d’énergie de 5,9 %.

On peut ainsi affirmer qu’elle réduit la traînée de leur corps en limitant l’adhérence du fluide qui l’entoure à la surface de la peau grâce à l’espace situé entre chaque denticule.

C’est pourquoi les études initiales sur cet animal ont suscité tant d’attentes quant à leurs possibles applications. Les principales caractéristiques de la membrane ont été mises en évidence de manière plus spécifique dans des études réalisées dans les universités de Harvard (Cambridge) et d’Emory (Atlanta), avec les résultats suivants :

  • Réduction de la friction,
  • Augmentation de la vitesse,
  • Réduction de la dépense énergétique.

Les maillots de bain des nageurs professionnels ont été parmi les premiers à s’inspirer de la peau de requin. Les résultats spectaculaires obtenus lors des Jeux olympiques de 2008 et des suivants ont même entraîné l’interdiction de certains types de tissus pour la compétition.

Cependant, la recherche ne s’est pas arrêtée là, car on a vite compris les incroyables possibilités qu’offrait cette technologie pour le secteur naval et aéronautique.

Le transporteur allemand Lufthansa a ainsi été le premier à sérieusement miser dessus.

En 2019, les premiers tests ont été effectués sur une partie du fuselage d’un Boeing 747-400 de la compagnie, avec pour résultat une réduction de 0,8 % de la friction sur l’avion.

Ces résultats peuvent sembler très limités, voire imperceptibles. Néanmoins, si l’on considère le nombre d’heures de vol qu’effectue un avion, les calculs indiquent une économie annuelle de nombreuses tonnes de carburant, avec non seulement des effets positifs sur les performances économiques des transporteurs aériens, mais également une diminution de l’empreinte carbone, une question centrale dans les décennies à venir, tant pour l’aéronautique que pour les autres secteurs.

Après la parenthèse liée à la pandémie de coronavirus, des recherches sont en cours pour étendre cette technologie sur les autres parties de l’avion ainsi que sur d’autres modèles d’aéronefs. Les grands fabricants mondiaux du secteur ont également initié des projets en ce sens.

Si cette technologie devait s’étendre à l’ensemble de la flotte aéronautique, elle permettrait des économies substantielles de carburant et représenterait un pas supplémentaire vers l’atteinte de l’objectif d’empreinte carbone zéro de l’aéronautique d’ici à 2050.

Bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans le développement de ces recherches, leurs résultats sont très encourageants et laissent entrevoir un avenir où les compagnies aériennes pourraient améliorer leurs performances économiques tout en faisant progresser la décarbonation du secteur aéronautique. Un progrès qui peut véritablement être considéré comme gagnant-gagnant.

 

Lufthansa B747 aeroshark

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