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Latécoère et la naissance de l’Aéroport de Malaga

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Vicente Padilla

AERTEC / CEO & Founder

 

Après trois années d’une guerre terrible en Europe, au printemps de 1919 la naissante industrie aéronautique produisait de nouveaux et excellents avions. La signature de l’armistice avait ouvert la porte à la paix, et par conséquent, le moment historique était arrivé pour le développement du transport aérien commercial.

Pierre Latécoère était un homme d’affaires Toulousain qui avait hérité d’un vieil atelier familial. Autrefois dédiée à la fabrication de pièces ferroviaires, son usine avait su apporter le génie aéronautique à l’armée française pendant la Grande Guerre. Néanmoins, son rêve n’était pas la guerre, sinon la liaison entre la France et de l’Amérique du Sud par le moyen d’une ligne aérienne. Avant d’arriver à Santiago du Chili, il était résolu à joindre Toulouse avec la capitale du protectorat français au Maroc, Casablanca. Il s’agissait d’une distance d’un peu plus de 1 850 km entre les deux villes. Ses avions à ailes entoilées à un seul moteur n’avaient qu’une capacité de vol d’un peu plus de 500 km. Il fallait donc diviser le parcours en différentes étapes. Malaga fut choisie comme l’une des escales.

Latécoère était un homme d’action. Frustré par les problèmes administratifs qui bloquaient son projet, il décida de le démarrer sans le soutien du gouvernement français car il avait déjà obtenu l’autorisation du Roi Alphonse XIII de traverser l’Espagne et il avait aussi obtenu l’appui économique d’un ami aristocrate italien. Il décida donc de voler par ses propres moyens à Casablanca pour obtenir le soutien du Général Lyautey, le Gouverneur Général du Protectorat au Maroc.

Lui et ses hommes avaient déjà frôlé la défaite. Lors du premier essai, l’un de ses avions s’était écrasé à Barcelone où son hélice s´était abîmé. Il avait aussi endommagé le train d’atterrissage lors d’un autre essai à Alicante. La précipitation durant l’organisation avait généré des malentendus et les pistes d’atterrissage n’avaient pas été bien construites. Latécoère, déterminé à arriver à Casablanca, décida d’envoyer l’un de ses pilotes à Malaga pour s’assurer du bon état de la piste. Il ne voulait plus prendre de risques inutiles. Pendant ce temps, il prit un train pour Toulouse afin d’essayer de nouveau avec un nouvel avion.

Le 8 mars 1919, cinq jours après les accidents de Barcelone et d’Alicante, Latécoère et son pilote, décollèrent à nouveau de l’Aéroport de Montaudran à Toulouse. Le vol jusqu’à Barcelone s’était passé sans problèmes. Ils atterrirent deux heures plus tard et, après avoir remplit le réservoir d’essence et mangé quelque chose, ils continuèrent jusqu’à Alicante où ils sont reçus trois heures plus tard. Pendant l’après-midi, ils essayèrent de réparer l’un des avions endommagés auparavant, maisils n’y arrivèrent pas. Latécoère, malgré l’insistance de ses collègues pour qu’il abandonne, suivit son instinct et décida de continuer son aventure avec un seul avion. Il envoya un télégramme à Malaga pour annoncer qu’ils arriveraient le lendemain.

Le matin du 9 mars 1919, Latécoère regarda le ciel avec préoccupation. Une météo très mauvaise ne présageait rien de bon. « Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda-t-il à son pilote. Les regards se croisèrent en silence,le pilote mit ses gants de cuir. « Malaga nous attend » répondit-il. Quelques minutes plus tard, le rugissement du moteur couvrit le brouhaha des autorités espagnoles, des techniciens français et des curieux, puis l’avion décolla et disparut derrière les nuages.

Une fois dans les aires, les pires pronostiques de Latécoère furent confirmés. Les gouttes d’une forte averse à quelques kilomètres de Murcia frappaient violemment les faibles ailes de toile de l’avion. Si la pluie se transformait en grêle, les ailes seraient percées comme le fromage préféré de son père. « Qu’est-ce que on fait, on rentre ou on continue ? » Demanda-t-il avec des signes à son pilote. Rentrer signifiait la défaite, continuer signifiait surmonter les nuages et voler au-dessus d’eux. Leur choix n’était pas facile.

En 1919, il n’y avait pas d’instruments d’aide à la navigation. Les pilotes suivirent les points de référence géographiques au sol. Depuis le départ de Toulouse ils avaient suivi les fleuves et la ligne des côtes françaises et espagnoles. S’ils réussissaient à passer au-dessus des nuages, ceux-ci alors situés au-dessus d’eux, leur empêcheraient de voir les points de référence au sol. Une navigation précise vers Malaga deviendrait impossible. Ils pourraient survoler la mer pendant une centaine de kilomètres vers le large avant de s’en rendre compte, et il serait alors trop tard, le manque d’essence les plongerait impitoyablement tout droit dans les eaux froides méditerranéennes.

Traverser la couche de nuages était une manœuvre très dangereuse. Ils ne connaissaient pas leur l’épaisseur, et réussir à maintenir l’avion en position horizontale pendant la traversée des nuages serait un miracle. Soumis aux forces inertielles du mouvement de l’avion et du vent, ils seraient désorientés dans la brume. Ils pourraient se retrouver la tête en bas sans s’en rendre compte. Toute tentative de vol sans références visuelles était un suicide. Malgré tout, le pilote, sans même répondre à son patron, accéléra les révolutions du moteur. La dense couche de nuages bas devait être traversée à n’importe quel prix.

Pendant ce temps, des amoureux de l’aviation et des curieux attendaient sur la piste d’atterrissage improvisée sur les terrains de La Misericordia, près du port de Malaga. Un télégramme leur avait confirmé le départ du vol d’Alicante peu après 7 heures et demie du matin. Le retard de l’avion n’était pas normal. Ils auraient déjà dû être à Malaga depuis une demi-heure. Cela faisait presque trois heures qu’ils étaient parti. Ils n’avaient de l’essence que pour un peu plus de trois heures et 15 minutes de vol. Tous les yeux étaient levés vers le Monte de Gibralfaro. Personne ne voyait rien, personne ne bougeait.

Non loin de là, Latécoère fit un signe à son pilote. Il lui indiquait quelque chose au sol qui apparaissait derrière les nuages. C’était le port d’une grande ville, et cela devrait être Malaga. Ils se sentirent soulagés. Ils n’y avaient de l’essence que pour un peu plus de 10 minutes de vol. Ils descendirent et tournèrent autour de l’endroit choisi pour l’atterrissage par le collègue envoyé auparavant. Au sol, des dizaines de femmes et d’hommes les regardèrent avec un mélange de soulagement et d’angoisse. Après quelques tours de reconnaissance le pilote ne se décida pas à atterrir. La piste présentait beaucoup de flaques d’eau à cause des pluies de la nuit précédente. Après les problèmes d’atterrissages à Barcelone et à Alicante, le pilote, ne voulait pas prendre de risques. À plusieurs centaines de mètres vers l’ouest, le pilote vit un terrain en friche, près du village de Churriana, qui lui parut plus sûr pour l’atterrissage. « On y va » pensa-t-il.

À ce moment-là, le moteur de leur avion commença à avoir des ratés. Ils regardèrent l’aiguille du réservoir d’essence, elle était presque vide. Ils n’y avaient qu’une minute, ou deux dans le meilleur des cas, pas une de plus. Ils devaient prendre une décision… et vite.

Le pilote n’hésita pas. Il poussa sur le manche et dirigea l’avion vers les terrains qu’il estimait les plus sûrs. L’avion descendit, toucha le terrain trop vite, l’appareil rebondit comme une pierre qui ricoche et retomba de tout son poids. Une fois, deux fois, et à la troisième, ils réussirent à rouler l’avion tout au long du terrain irrégulier qui les fit rebondir comme les cowboys sur un cheval au trot. Peu après, l’avion s’arrêta. Le 9 mars 1919, à 10 heures et demie, ils avaient atterri sur les terrains du Cortijo del Rompedizo.

Ils ne le savaient pas, mais l’Aéroport de Malaga venait juste d’être inauguré. À la dernière minute, ils avaient choisi les terrains où le futur aéroport serait érigé.

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Note : Le 9 mars, à une heure de l’après-midi, l’avion a décollé de Malaga à destination de Rabat et Casablanca. Le 12 mars, au retour, l’avion devait atterrir sur une plage de Malaga. Mais encore une fois, la prudence et le terrain instable les ont amenés à se diriger vers un champ. Cette même après-midi, M. Latécoère négocie avec le propriétaire du terrain, Félix Assiego, un loyer pour un montant de 7.000 pesetas (42 euros) par an pour y construire l’aérodrome.

 

 

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